Salut mes petits chats ! Cherchez pas, y'a des jours, je suis d'humeur « lemercienne ». Et puis c'est pas ma faute, c'est à force d'écouter au boulot Anaïs Petit imiter Valérie Lemercier dans le Grand direct des médias sur Europe 1. Bref. Aujourd'hui, j'ai envie de vous parler des études de lettres. Pour moi, la question ne s'est pas posée, tant mieux. Après un bac L, j'y ai foncé les yeux fermés, c'est vraiment ce que je voulais faire. Et dans un coin de ma tête, j'avais déjà dans l'idée de devenir journaliste, et donc de me diriger vers une formation adéquate après quelques années de fac, même si finalement j'ai bifurqué entre deux. Aujourd'hui, je regrette rien et si c'était à refaire, c'est là que je retournerais encore.
Tu es lycéen en première L, lecteur et disserteur de la première heure, ou étudiant en biologie moléculaire secrètement épris de Zola, Flaubert et leurs amis, ou pâtissier blasé des éclairs au chocholat et en quête de gourmandises littéraires, ou encore financier de banque aigri de la vie et plus amoureux des belles letttres que des beaux chiffres ? Ok, d'accord. Lis, écris, disserte, émerveille-toi tant que tu voudras, mais surtout, réfléchis avant de courir t'inscrire en fac de lettres. Je vais te dire pourquoi, et si ça t'intéresse d'avoir l'avis d'une ex-étudiante en lettres assumée, ben lis.
Des études de lettres, oui mais pour quoi faire ?
Je me souviens d'une soirée chez un ami. On était en 2e année de lettres modernes, on avait 20 ans et c'était le bon vieux temps. Ce soir-là, on avait raconté beaucoup de conneries, comme souvent, et on avait conclu, tandis qu'on pérorait sur notre avenir : « De toute façon, avec un bac+5 en lettres, on va tous finir soit profs soit acteurs porno et puis c'est tout. Et à 45 ans, on publiera nos mémoires. L'avantage pour nous ex-étudiants en lettres, c'est qu'on n'aura pas besoin d'un nègre pour les écrire ! ». Puis on avait éclaté de rire grassement, bande de bêtas insouciants que nous formions. Aujourd'hui, parmi les gens dont j'ai encore des nouvelles, deux sont profs de français contractuelles, un est pigiste, un autre intermittent du spectacle, une autre a repris des études en école d'ortophonie, une autre est employée administrative mais au chômage à l'heure actuelle... Faire lettres, tout le monde le sait, ça peut être synonyme d'avenir galère, à moins qu'on ait déjà des objectifs précis qui collent à ces études, des ambitions concrètes et de la motivation à toute épreuve. Alors soyons clairs, il n'y a pas 56 débouchés :
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instit ou prof de français
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métiers du livre (librairie, bibliothèque, édition)
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métiers de l'écrit (journalisme, rédaction, correction, conception-rédaction...)
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métiers de la culture de manière générale (administration du patrimoine, des musées, des arts du spectacle...)
Et si tu consultes notre ami Google, tu trouveras à peu près la même chose que ce que je te raconte là.
Si t'as pas du tout l'intention de te diriger vers une de ces branches-là et que tu vas en lettres, c'est que :
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soit tes parents sont des profs de lettres qui ne jurent que par leur boulot, ils veulent que tu fasses pareil et te forcent, et là, c'est tout de même grave, n'est-ce pas, docteur !
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soit t'es une brebis égarée qui s'est retrouvée là parce que la prairie te semblait paisible et que tu t'es dit « tiens, si je broutais l'herbe ici ? », en attendant que le berger de tes rêves vienne te chercher. Tu sais pas tellement ce que t'aimerais faire, tu changes d'avis tout le temps, y'a rien qui te passionne spécialement et tu te sens paumé, t'as pas de boussole quoi. C'est pas grave, va, pas de panique, tu trouveras la voie. Parce que comme dirait le Japonais psychopathe qui poursuit Tintin avec un sabre dans le Lotus Bleu : « Il faut que vous trouviez la voie. Vous connaîtrez la vérité. Mais d'abord, je dois vous couper la tête ! ».
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soit t'as conscience que tu traîneras pas là longtemps, t'as suivi tes potes juste pour le fun et pour la gloire. C'est la classe de faire lettres, même si tu vas jamais en cours. En plus, ta cousine est en deuxième année de lettres, elle est en week-end le jeudi matin, elle sort 4 soirs par semaine et c'est l'éclate dans les soirées erasmus. En fait, t'en as rien à taper de perdre un an, deux ans, voire plus, t'as juste envie de profiter de la vie avant de penser aux études sérieusement. Côté finances, t'es peut-être un boursier qui vit au jour le jour, ou tu bosses au Mc Do à temps partiel, ou alors papa-maman veillent au grain. Et tu te dis que tu verras plus tard pour les choses sérieuses, quand ils te sonneront les cloches.
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soit t'es juste passionné par la littérature mais aucun de ces métiers ne t'attire. Euh...ben...que dire ? C'est balo mais ça arrive hein.
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soit t'étais juste bourré le jour de ton inscription, et tu t'es inscrit en lettres au lieu de t'inscrire en LEA.
Il faut savoir tout de même que tous les métiers cités ci-dessus comportent chacun leur lot de galères et de prises de tête, et on les exerce généralement par passion. Si on n'a pas la flamme, on se décourage très vite. Les profs, sacrifiés de l'éducation nationale, sont de plus en plus malmenés et surmenés, se prennent toute la misère du monde en pleine gueule et il faut être un guerrier pour exercer ce taf maintenant. Les libraires bossent comme des dingues en faisant face aux difficultés du monde de l'édition pour pas grand-chose, et tremblent sous la menace de la faillite. Les journalistes mendient du boulot comme des chiens en rut et sont souvent payés au lance-pierre, et je dirais même pour le coup, au lance-os. Et puis, autant on a besoin de profs, c'est même la pénurie; autant des journalistes y'en a trop, personne n'a besoin de nous, et à moins de devenir un journaliste d'investigation qui risque sa vie pour dénoncer les horreurs de ce monde tels des reporters de guerre, on se sentira pas utile. C'est juste qu'on se fera plaisir quoi. Finalement, il n'y a que les gens titulaires d'un concours de catégorie A de la fonction publique qui s'en sortent pas mal, mais bon souvent, ils sont totalement débordés de boulot, à l'image de mon ex-directrice de médiathèque qui tournait à 60 heures par semaine et ne pouvait pas partir en vacances sans retrouver en rentrant une pile de dossiers haute de 3 mètres sur son bureau. En même temps, c'est un peu le lot des postes à hautes responsabilités. Mais faut que le salaire suive. Bon évidemment, je parle là de la majorité. Après y'a des privilégiés, ceux qui ont réussi à se faire une place en or, et qui ne connaissent plus ou pas toutes ces difficultés là, et là je pense par exemple aux profs de fac évidemment, aux rédac en chef de grands journaux, aux journalistes de télé, aux grandes personnalités du monde littéraire et tout le toutim. Ceux-là sont bien la preuve qu'on peut faire lettres et méga hyper bien s'en sortir. Mais pour en arriver là, il faut tout de même être une tronche et avoir sacrément bossé, ou bien alors avoir été pistonné, ça arrive aussi. Les tronches peuvent tout se permettre, prépa lettres, Sciences Po, l'Ecole Normale Supérieure, wouh, soyons fous ! En tout cas, si on n'a pas dans l'idée de suivre un des débouchés que j'ai évoqués, rien ne sert d'aller en fac de lettres, surtout si c'est juste pour le fun ou la glandouille. C'est vrai que tout comme la section L au lycée, l'opinion publique est partagée entre admiration et mépris pour la filière, que certains prennent malheureusement pour une « voie-poubelle ». Beaucoup s'échouent en lettres parce que ça a la réputation d'être une fac tranquille, on peut relativement se la couler douce, on a 16 heures de cours et on n'a pas la pression (bien sûr je parle pas du tout de la prépa, où c'est le contraire). Parfois, les profs eux-mêmes, en particulier les « fins de carrière blasés », se grattent les c... On croise des allumés du ciboulot, dont on se demande si c'est Proust, ou autre chose qui a rien à voir qui leur a fait pêter un boulon. A titre d'exemple éloquent, un prof dont je viens d'apprendre à l'instant en le googelisant qu'il était mort il y a quelques années. Ce mec, un quasi sexagénaire barbu à l'air assez dégueulasse, était hyper chelou. Je m'étais inscrite à son module en 2e année, un cours sur la peinture dans la littéraure, choisi parmi plusieurs cours. Le premier jour, il nous avait lu un extrait de A l'ombre des jeunes filles en fleurs en fumant en plein cours et avec l'air d'avoir envie de se flinguer. Puis d'un coup, au bout d'un quart d'heure, il avait pêté les plombs et interrompu le cours sans explications en disant « Bon, c'est bon, cassez-vous, j'en ai assez pour aujourd'hui ». Des rumeurs circulaient sur son compte, il était reputé pour être sympa mais barjo, en fait. La deuxième fois, tandis qu'une fille papotait avec sa voisine pendant son cours, il l'avait interpellée en s'exclamant, laissant l'assemblée sur le cul : « Oui bon mademoiselle, on s'en fout, que votre mec il vous a bien enculée ce week-end ! ». Stupeur et tremblements ! Ni une ni deux, un peu effrayée à l'idée qu'il récidive à chaque fois en proférant d'autres absurdités vulgaires et irrespectueuses, j'ai pris mes jambes à mon cou pour m'inscrire dans un autre cours. Heureusement, ce genre de cas reste quand même rare. Et puis bon, bien que choqués, avec un peu de recul, on pouvait pas s'empêcher d'en rire. A côté de ça, peu de profs parviennent à passionner les foules, c'est pas évident. En quatre ans passés à Lille 3, seuls deux d'entre eux m'ont marquée. Ma prof de littérature médiévale de 2e année, une trentenaire hyper dynamique qui m'avait fait kiffer Le chevalier au lion de Chrétien de Troyes à fond les ballons. Et mon prof de littérature francophone, un gars super cultivé, boute-en-train et drôle, qui a été mon directeur de mémoire. Et si je devais citer des œuvres étudiées en cours qui m'ont bouleversée, je citerais Don Quichotte de Cervantès, et surtout Delphine de Mme de Staël. Moi ce que je reproche aux études de lettres, c'est d'être trop enfermées dans des programmes, des auteurs, des œuvres en particulier. Selon moi, ce serait beaucoup plus intéressant si on ne passait pas un semestre entier par cours sur un thème et une œuvre, mais si pendant ce semestre, on étudiait par exemple les différents auteurs, de plusieurs époques et de plusieurs pays, d'un courant littéraire. Exemple ! Au lieu de passer 3 mois sur Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, on passerait 3 mois sur le théâtre tragique de manière générale, en se penchant sur l'histoire de ce genre, en analysant plusieurs œuvres, plusieurs auteurs à la fois, sans pour autant les étudier en entier ni avoir besoin de les acheter. En gros, je trouve que les programmes devraient être plus complets, plus ouverts et plus éclectiques. Je sais pas si j'ai été claire, mais bon, les concernés comprendront peut-être, enfin j'espère. Toujours est-il que j'ai passé de douces années sur les bancs de la fac, je ne dirai pas le contraire. Quelques matières m'ont saoulée, genre l'ancien français que j'avais en horreur et dont je voyais pas du tout l'intérêt, mais sinon, j'ai le souvenir de bien de parties de plaisir. Et à moi en tout cas, ça m'a pas servi à rien, loin de là.
Qui sont ces étudiants en lettres ?
A la fac de lettres, on rencontre plusieurs types de profils d'étudiants, que selon moi on pourrait classer, pour faire vite, en quatre catégories. Evidemment, je vais schématiser. Donc ne m'en veuillez pas si vous ne vous retrouvez dans aucun de ces portraits grossiers.
Y'en a, en minorité mais bien présents, qui sont là par amour passionnel. Ceux-là, que je qualifierais de « littéraires fous furieux », y croient à fond, lisent Platon et Proust comme ton arrière-grand-mère lit des Harlequin ou ta tante du Marc Lévy, ont 18 en dissertation tellement ils sont brillants. La littérature, c'est toute leur vie, c'est leur seule religion, ils font l'amour avec Baudelaire ou Louise Labé, ils adorent débattre sur des sujets hyper pointus, genre le complexe avaricieux chez les personnages de Balzac, et ne jurent que par la thèse, cette suprême consécration. Y'en a qui sont là par amour de la littérature, mais un amour raisonnable, paisible, et je me mets dans ce lot-là, de ceux que je surnommerai les « littéraires doux rêveurs ». Ils adorent lire, écrire, découvrir des auteurs et des courants littéraires, se rêvent agrégés, journalistes ou éditeurs. Mais rendent leurs commentaires composés à labourre comme les autres, ont la flemme de lire Proust parce que c'est relou et qu'ils n'y comprennent pas grand-chose, sèchent les cours d'anglais parce que ça les ennuie. Cela dit, ils se débrouillent toujours pour finir l'année avec au moins 12-13 de moyenne, parce que mine de rien, ils bossent quand même, dans tout ça. Ensuite, il y a les « littéraires sans-abri », ceux qui ont atterri là parce que bon, ils ont fait L, trouvent Zola et Racine sympas, et ils ne se savaient pas trop où aller après le bac, finalement. Ils ne cessent de dire que la fac ça sert à rien, n'ont aucune idée de ce qu'ils feront plus tard, traînent des pieds dans les couloirs de la fac, et valident leur année de justesse, avec difficulté ou pas du tout. Enfin, il y a les « littéraires touristes », ceux qui se sont retrouvés là par hasard, sans aucune conviction ni passion, qui sont là en observateurs, parce que quand même, c'est cool, de dire qu'on va à la fac, et puis, lettres en plus, ça le fait trop quoi. En général, ceux-là ne font pas long feu. Un semestre, un an au plus, puis bye-bye. Ok, les lettres, c'est plus relax que la psychologie ou la chimie, bien moins dur, moins éprouvant, c'est clair comme de l'eau de roche. Mais tout de même, la fac de lettres, les enfants, c'est pas un hébergement d'urgence.
Plan B pour les bac + 5 en lettres
Cela dit, pour ceux qui n'auront pas pris les lettres pour une fac bouche-trou et qui seront restés jusqu'au bout sans pour autant savoir où aller, y'a un super plan B et c'est nouveau, depuis 2007. Mais attention, ce plan, c'est soit pour ceux que la gestion de risques excite (euh... ben pourquoi pas ? Chacun ses goûts hein), soit pour ceux qui veulent un CDI là tout de suite maintenant et avoir une vie confortable sans souci matériel avec un bac +5 en lettres. L'ENASS, l'école des formations dans les assurances, propose un programme baptisé Elsa, un M2 pro spécialement dédié aux étudiants issus de fac de sciences humaines, donc aussi bien de socio, d'histoire que de lettres. Il s'agit d'une formation en alternance adaptée à eux, ils sont pris en contrat pro pour un an et ont la garantie de trouver du boulot stable et bien payé juste après, parce que les assurances, c'est un secteur qui connaît pas la crise, et tu peux y entrer avec un salaire plutôt attractif. Les assureurs sont en manque de collaborateurs, et les étudiants issus des sciences humaines possèdent des qualités qu'ils ne trouvent pas forcément chez les autres. Et c'est de ce constat qu'est né le dispositif Elsa de l'ENASS. C'est le plan B pour les littéraires qui ne rêvent plus, qui en ont marre de galérer dans des domaines bouchés où personne ne les attend, qui veulent surtout être tranquilles et je les comprends. En tout cas, étudiants et futurs étudiants en lettres, quelles que soient vos ambitions ou non ambitions, je vous souhaite bon courage. Mais une chose est sûre, les études de lettres, quand on aime la littérature, c'est bon pour le moral.